Histoire du Pérou 3/5

 

Le Pérou de la période coloniale

En 1556, l’empereur Charles Quint, qui avait rêvé d’un pouvoir universel abdique à Bruxelles. Il se retire dans un monastère avant de mourir deux ans plus tard. En 1550 a eu lieu à son initiative ce qui restera connu dans l’histoire sous le nom de controverse de Valladolid. Un grand débat s’est élevé au sujet de la légitimité de la conquête des Indes occidentales et de l’esclavage des Indiens. Pour la première fois une puissance européenne est confrontée à la tâche de gouverner un continent habité par des populations inconnues. Quel statut faut-il leurs accorder ? Sont-ce des hommes ? Le prêtre dominicain Las Casas avait réussi à émouvoir Charles Quint à l’évocation des malheurs dont les indiens étaient victimes et dont il avait été témoin.

Son action est à l’origine du Code des Nouvelles Lois de 1545 favorable aux Indiens mais qui ne sera jamais appliqué. Ce qui va prévaloir est l’idée que les Indiens sont inférieurs aux Espagnols, des esclaves par nature. C’est ainsi que se forme une théorie soit disant cohérente et qui devait durer de l’impérialisme occidental. Cela permet de justifier la conduite de ceux qui dans le nouveaux monde et ailleurs ne s’embarrassent pas de scrupules humanitaires, persuadés de leur supposée supériorité.

Pendant que se livre cette controverse, les populations indiennes sont décimées par les épidémies, variole, typhus et fièvre jaune tandis qu’apparaissent les premiers métissages. On peut avancer qu’en 1570 il ne subsiste plus que 1,3 millions d’Indiens au Pérou tandis que neuf dixième des populations des basses terres décèdent du paludisme. La nécessité de se procurer de la main d’œuvre trouve sa « solution » dans la traite des noirs. Ils arrivent d’Afrique dans les conditions que l’on sait effroyables, toujours de plus en plus nombreux. Les Espagnols répugnant à ce genre de trafic, la couronne souscrit un contrat ou « asiento » avec une compagnie d’armement étrangère qui assure l’approvisionnement en nègres en échange d’une forte redevance. Ce trafic qui prévoit de quarante à cinquante pour cent de « déchets » au cours de la traversée fait la fortune d’armateurs Portugais, Hollandais, Anglais et Nantais, entre autres, pour la France.

Tupac AmaruIl est instauré une vice royauté du Pérou qui s’étend de l’isthme de Panama à la Patagonie et de l’océan Pacifique jusqu’à la forêt amazonienne, une société se met en place avec à son sommet les Espagnols. Viennent ensuite les créoles issus de pères et mères espagnols mais nés au Pérou. Bien que s’estimant les pairs des Espagnols la plus grande partie du pouvoir leur échappe au bénéfice de ces derniers. Les métis font l’objet du mépris aussi bien des Espagnols que des créoles. Les Indiens et les noirs se distinguent des mulâtres qui offrent tous les degrés de métissage entre Espagnols blancs et africains noirs. Tout en bas viennent les zambos. Il s’agit de métis de noirs et d’indiens. Ce mélange de races est censé être interdit sous peine de mutilation ou d’exécution capitale. Tout ceci ne peut qu’être que la source de tensions qui provoquent des explosions sporadiques. Ce n’est qu’en 1572 que le dernier Inca, Tupac Amaru qui avait déclenché une révolte est capturé, condamné et exécuté. Son souvenir ne sera jamais oublié par les indiens.

Francisco de Toledo

Francisco de Toledo

Il faudra attendre le cinquième vice-roi, Francisco de Toledo qui prend ses fonctions en 1569, pour que la couronne parvienne vraiment à assoir son autorité au Pérou. Il réalise ce que ses prédécesseurs n’ont pas pu faire et dont ses successeurs ne s’écarteront guerre jusqu’à l’indépendance. Le pouvoir royal s’exerce par l’intermédiaire du vice roi et de « l’audiencia ». Initialement « l’audiencia » est un tribunal qui a été installé en 1542 à Lima et en 1717 à Cuzco. « L’audiencia » cumule le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire ce qui lui permet d’exercer une étroite surveillance sur les fonctionnaires. Son président est le vice roi dont elle assure l’intérim en cas de vacance. L’exemple des conquistadors a rendu la couronne méfiante à l’égard d’éventuelles tentations d’indépendance des vices rois qui sont choisis au sein des plus illustres familles espagnoles. Les pouvoirs de « l’audiencia » limitent ceux du vice roi. Les « audiencias » se divisent elles-mêmes en «corregemientos » dirigées par les « correggidores » flanqués des alcades. Ce sont ces derniers qui exercent l’administration quotidienne. Les indiens sont répartis en « partidos » soumis aux caciques qui sont eux même des indiens ou aux « encomienderos » qui se conduisent en véritables seigneurs féodaux.

L’inventaire général des provinces et des villes est effectué régulièrement pour des raisons fiscales ainsi que le recensement des populations. C’est ce qui explique les chiffres qui sont parvenus jusqu’à nous. Les « corregidores » des indios sont en charge des indiens tandis qu’il revient aux caciques de lever l’impôt et de fournir les membres de leur communauté destinés à « l’encomienda » ou à la « mita ». « L’encomienda » permet aux représentants de la couronne, moyennant finances, de confier un certain nombre d’indiens à un colon espagnol qui dispose ainsi d’une main d’œuvre servile pour exploiter la terre ou travailler dans une mine. La « mita » maintenue par les Espagnols remontait à l’époque des Incas. Il s’agit de travail obligatoire qui n’est pas sans rappeler, en pire, les corvées médiévales.

On ne peut pas dissocier l’évocation de l’administration civile de celle de l’Eglise. En vertu d’une bulle du Pape Alexandre VI, la couronne dispose d’un droit de patronage qui place toute l’administration de l’Eglise des Indes Occidentales entre les mains du roi. Il nomme aux charges ecclésiastiques et il lève, au nom du clergé, les dîmes qui lui reviennent. De son côté l’Eglise permet aux vices rois successifs de maintenir leur emprise sur la population en raison de la crainte inspirée par l’Inquisition dont le premier tribunal entre en fonction à Lima en 1570. L’Inquisition n’inquiète pas les Indiens qu’elle considère comme de grands enfants incapables de verser dans l’hérésie. Si le clergé séculier les ignore et préfère jouir des grasses prébendes qui lui sont accordées, il n’en va pas de même pour les ordres franciscains, dominicains, augustins puis jésuites au cours des XVII eme et XVIII eme siècle pour ces derniers. Ils sont sincèrement attachés à protéger les populations indiennes en les regroupant autour de leurs missions ou réductions. Leur but est, outre la protection, l’évangélisation et l’assimilation.

A partir de 1574, l’exploitation de la mine de mercure de Huancavelica bat son plein. Le mercure hautement toxique permet d’amalgamer l’argent préalablement broyé. Ce procédé relance la production d’argent de la mine de Potosi malgré les difficultés posées par le transport du mercure sur une distance de 1250 km à vol d’oiseau, en pleine cordelière des Andes et à près de 1400 m d’altitude. La production annuelle d’argent de la mine de Potosi atteint les 200 tonnes ce qui représente les quatre cinquième de la production du Pérou. La ville de Potosi devient la plus peuplée d’Amérique du sud avec 120 000 habitants dont 6 000 noirs et 76 000 Indiens contraints au travail forcé en application de la « mita » qui ne commencera à disparaître qu’au début du XVII eme siècle. Fort heureusement, pour le salut de l’âme de ces Indiens l’office des morts est célébré à leur intention avant leur départ pour la mine. . . C’est Potosi qui finance le développement de Lima, la plus luxueuse des capitales coloniales. Au titre du « quint », l’impôt sur les métaux précieux, le roi d’Espagne est censé percevoir vingt pour cent des quantités qui arrivent en Europe. A partir de 1800 l’extraction de l’argent se raréfie et est remplacé par celle de l’étain. Le déclin de Potosi est inéluctable. Bien que les filons argentifères soient épuisés, de nos jours les habitants de la région continuent à les exploiter pour des gains dérisoires et dans des conditions de sécurité désastreuses.

Ce sont des tonnes d’or et d’argent qui sont déversées vers l’ Espagne du XVI eme au XVII eme siècles même si la part de la couronne peut varier de cinq pour cent au XVI eme siècle pour remonter à vingt cinq pour cent au siècle suivant. Ces variations sont dues, en grande partie, aux fraudes. On a longtemps cru que cet afflux de richesse avait déstabilisé l’économie européenne et que l’inflation et l’augmentation des prix entre 1520 et 1650 en étaient le résultat. En réalité on ne connait pas précisément les quantités réelles de métaux précieux qui arrivent en Espagne.

  • Une première partie reste sur place pour payer l’administration.
  • Une seconde fait l’objet de fraudes comme il est dit plus haut,
  • une troisième disparait dans les naufrages
  • tandis qu’une quatrième, il est vrai assez minime, termine entre les mains des corsaires et autres pirates.

Les métaux précieux restant partent directement entre les mains des banquiers italiens afin de financer les guerres menées par la couronne espagnole. A la mort de Charles Quint le montant des dettes qu’il a contractées est supérieur au total de la valeur des métaux précieux arrivés durant son règne. A son avènement son successeur, Philippe II refuse d’honorer les dettes de son père. A la mort de Philippe II, en 1598 le trésor est vide et son règne a connu trois banqueroutes.

Ce n’est qu’à partir du traité d’Utrecht en 1713 qui ravale l’Espagne au rang de puissance secondaire que les métaux précieux d’Amérique restent dans la péninsule ibérique. Finalement, l’Espagne n’a fait que dilapider ses trésors du nouveau monde.

 

L’immigration européenne a progressé tout comme l’apport africain. Les Juifs, les Maurisques ou les Maranes (d’origine arabes et de religions musulmane convertis de gré ou de force à la foi catholique après la « reconquista ») dont la foi ne pouvait qu’être suspectée sont systématiquement écartés. La population indienne reste majoritaire même si entre 1530 et 1660 la population andine a diminué de 20 à 30% en raison des excès de l’esclavage, du travail forcé et des épidémies.

A partir de la seconde moitié du XVI eme siècle, les grandes lignes de l’économie péruvienne se sont stabilisées. Les grandes propriétés l’emportent au détriment des terres communautaires indiennes. Ces grands domaines laïcs ou ecclésiastiques vivent en économie fermée et exportent leurs productions en direction de la côte en faisant appel à la main d’œuvre indienne ou noire.

La vice royauté du Pérou, comme le reste de l’Amérique latine voit ses ressources exploitées au bénéfice de la métropole sans pouvoir en développer de nouvelles. Au Pérou, les tentatives de culture l’olivier ou la vigne sont combattues par la couronne afin qu’elles ne puissent pas concurrencer celle de l’Andalousie. Le pacte colonial impose à tous les navires qui partent ou arrivent des Amériques de le faire à partir du port de Séville. Ce point de départ ou d’arrivée imposé permet un contrôle censé être efficace des cargaisons. Ces contraintes ne peuvent que pousser à la fraude et favoriser le commerce interlope. Entre 1698 et 1724, et pour ne parler que de la France, ce sont 160 navires qui relâchent dans les ports de la vice-royauté du Pérou au mépris des règlements et avec la complicité intéressée des autorités locales. Ils sont armés à La Rochelle ou à Saint Malo et ils suppléent au prix fort à la pénurie de produits manufacturés dont le Pérou est dépourvu. Ce n’est qu’en 1778 que Charles III assouplit ce système et libéralise le commerce entre les Indes Occidentales et l’Espagne. Malgré tout, les Amériques sont censées passer par la métropole pour commercer avec le reste du monde. D’autre part, la conquête a imposé une unité factice à des peuples différents, à des civilisations diverses. Dans ces immenses espaces aucune continuité géographique n’existe. La vice royauté du Pérou, rappelons le, s’étend de l’isthme de Panama à la Patagonie et de l’océan Pacifique à la foret amazonienne. A la fin du XVIII eme siècle trente jours de voyage sont nécessaires pour se rendre de Rosario à Tucuman. Entre la vice royauté du Pérou et la capitainerie générale du Chili qui dépend d’elle le désert de Puna de Atacama interdit tout déplacement terrestre. La seule communication possible passe par la mer.

A toutes ces contraintes s’ajoutent les tensions et les contradictions de la société. Les créoles sont installés depuis plusieurs générations sur cette terre qu’ils considèrent comme la leur. C’est entre leurs mains que repose l’économie, ils possèdent les propriétés terriennes et détiennent les places intermédiaires de la magistrature. Dans cette société ou la présence de l’indien et de l’esclave noir confère à l’homme blanc un complexe de supériorité, les créoles se voient en but à l’exclusion et à la méfiance de l’administration royale. Ils sont tenus à l’écart des places civiles et ecclésiastiques les plus honorifiques et les plus lucratives. Conçu uniquement dans l’intérêt de la métropole le système colonial leur est de plus en plus insupportable. A la fin du XVIII eme siècle l’élite créole participe au grand mouvement des idées du siècle des lumières. Malgré la surveillance de l’Inquisition, une vie intellectuelle intense gravite autour de l’université de Lima qui a été fondée dès 1553 et le journal « La Gaceta de Lima » propage ces idées nouvelles.

Tupac Amaru II

Tupac Amaru II

La vie indienne tout au long de la période coloniale est marquée par de nombreuses révoltes sporadiques plus ou moins rapidement réprimées. Ces révoltes trouvent leur origine dans l’ordre inégalitaire de la société, les violences et l’exploitation dont les indiens font l’objet.

En 1742, à Tinta dans la province de Cuzco, dans une famille indienne de haut lignage, nait José Gabriel Condorcanqui Nogera. Il reçoit des Jésuites une solide éducation qui ne le coupe pas de ses racines indiennes. En 1777 il fait parvenir au vice roi un long mémoire dans lequel il dénonce le sort fait aux Indiens. Mais cette démarche reste lettre morte. En 1780, le comportement du « corregido » de la ville de Tinta provoque une émeute qui fait rapidement tache d’huile. L’indiscutable personnalité charismatique de José Gabriel Condorcanqui Nogera lui permet de prendre la tête de cette révolte. Il reprend le nom de Tupac Amaru II, le dernier Inca à avoir résisté aux conquistadors. Le « corregidor » de Tinta est pendu et une armée forte de six milles indiens défait une troupe hispanique et marche sur Cuzco. Les indiens prennent leur revanche avec une telle violence qu’elle effraie les créoles et d’autres coreligionnaires qui refusent de se joindre aux révoltés. Cuzco résiste ce qui permet de regrouper des troupes qui partent de Lima et battent les insurgés à plusieurs reprises. Trahi, Tupac Amaru II est capturé et il est contraint d’assister à l’exécution de son épouse, de ses enfants et de tous ses proches avant d’être écartelé. La répression qui s’en suit va faire près de cent milles victimes. La vice royauté du Pérou vient de connaître la plus grande révolte de l’ère coloniale qui ne sera pas sans laisser de traces dans les mémoires.

A ces facteurs vont s’ajouter d’autres influences. Elles vont saper l’édifice colonial bâti par les Espagnols tout comme les Portugais au Brésil. L’indépendance de l’Amérique Latine suit la révolte des treize colonies anglaises de l’Amérique du Nord. La conquête de l’Espagne par Napoléon 1° qui place son frère sur le trône exacerbe les antagonismes et cristallise les ambitions des uns et des autres. De 1806 à 1830 les guerres, les rivalités vont tragiquement agiter l’Amérique du Sud et briser l’unité factice imposée par la conquête.

À suivre …

Nos séjours au Pérou